NOTES
Ce que Hugo sait de la biographie de Cantemir (1673-1723) ne déborde pas ce qu'en dit le Dictionnaire de Chaudon et Delandine, et reste même en retrait. Homme d'état, Cantemir, prince moldave, supplanté pour le gouvernement turc de la Moldavie, passe à l'ennemi et reçoit de Pierre le Grand le gouvernement de la Moldavie qu'il exerce pendant vingt ans. Comme érudit et « philosophe », son envergure dépasse beaucoup l'historiographie courtisane où Hugo le cantonne. Traduite en anglais puis de l'anglais au français par A. de La Jonquière, son Histoire de l'empire ottoman n'est pas aussi flagorneuse que le dit Hugo, qui ne l'a pas lu. Voici par exemple, puisque Hugo prononce, plus loin, le nom de Sélim, la conclusion du chapitre que Cantemir lui consacre (t. II, p. 214 et suiv.):
« C’en seroit assez pour couronner le régne de SELIM, et répandre sur ce Prince les plus grands éloges; mais les vertus humaines ne sont jamais sans quelque défaut qui en ternit l'éclat. Son penchant à la colére, & sa cruauté qui en ſut la suite, sera une tache ineffaçable à sa mémoire; & c’est ce qui l'a fait distinguer des autres Sultans par l'épithéte d’Yavuz (inflexible). J'en donnerai un exemple, avant que de finir ce qui le regarde. Deux ans avant sa mort il parut dans la Turcomanie un brigand déterminé, qui non content de piller les Provinces de son voisinage, assembla une grosse bande de voleurs comme lui , & forma le dessein de se faire Souverain. Sélim informé de cet incendie, envoye Ferhad Pacha avec un bon corps de troupes choisies pour l'éteindre; étant arrivé à Amasíe, il apprend que toute cette bande avoit été dissipée, & mise en déroute avec son chef, par Isbitanbeg Mehemed, fils de Scheikh Savur; Ferhad pour ne point fatiguer ses gens par une marche inutile, prend la résolution de camper aux environs d'Amasie, en attendant les ordres du Sultan, à qui il mande l'état des affaires. Dans ces entrefaites un scélérat poussé par une malice diabolique vient trouver Ferhad, & affectant un grand zéle pour le service de l'empereur, lui découvre un projet de révolte qu’il supposoit faussement être prêt d’éclater: "Il y a, dit-il, dans Amasie un imposteur nommé Amurat, qui se dit fils de Sultan Achmet. Il va de porte en porte suborner les Citoyens, & il a si bien tourné les esprits, que la ville est inſatuée de lui, & plus de sept cens coupe-jarets sont attachés à son parti, & n'attendent que le moment de tout renverser." Ferhad sans approfondir la vérité de ce rapport, dépêche un autre courrier à l'Empereur; il l'informe de ce qu'il a appris, & lui représente le danger où est la Province. Sélim ne pouvant alors voir que par les yeux de son lieutenant, se ſie à ce qu'il lui mande, & lui envoye ordre, sans autre forme de procès, d'empaler tous les plus apparens personnages du païs. Ferhad ne balance point à faire cette formidable exécution; il fait empaler plus de six cens personnes, tous gens de marque, & qui plus est, innocens; il fait couper la tête à d'autres, il en fait traîner par les ruës, attachés à la queue des chevaux, déplorables victimes de la colere de Sélim. »